Dans un monde où les parcours de vie, les patrimoines et les familles dépassent souvent les frontières, la fiscalité des transmissions internationales peut vite devenir un véritable casse-tête. En l’absence de coordination entre les systèmes fiscaux, une même donation ou succession peut être taxée deux fois : dans le pays du donateur et dans celui du bénéficiaire. Ce risque de double imposition constitue un enjeu majeur pour les entrepreneurs et les familles ayant des attaches en Suisse et en France.
Heureusement, le droit fiscal français a prévu un mécanisme pour atténuer cette double peine : l’imputation prévue à l’article 784 A du Code général des impôts (CGI). Ce dispositif, souvent méconnu, mérite aujourd’hui une attention particulière, tant pour sa portée que pour son intérêt en matière de planification patrimoniale.
Le mécanisme d’imputation : un outil stratégique
L’article 784 A permet, sous conditions, de déduire des droits de mutation dus en France les droits déjà acquittés à l’étranger sur les seuls biens situés à l’étranger. Ce mécanisme s’applique notamment lorsque le bénéficiaire réside fiscalement en France, même si les biens transmis ou le donateur sont situés à l’étranger, situation fréquente dans les transmissions transfrontalières franco-suisses.
Toutefois, jusqu’à récemment, l’administration fiscale française avait une lecture restrictive du texte : elle refusait l’imputation intégrale de l’impôt étranger si l’assiette taxable en France (par exemple la nue-propriété) était différente de celle retenue à l’étranger (souvent la pleine propriété). Ce raisonnement, bien que logique d’un point de vue comptable, maintenait de fait une double imposition contraire à l’esprit même du texte.
Une décision de justice qui change la donne
Par un arrêt du 26 mai 2025 (n° 22/17216), la Cour d’appel de Paris a opéré un revirement important. Dans cette affaire, une résidente suisse avait consenti une donation-partage avec réserve d’usufruit sur des actions luxembourgeoises.au profit de ses enfants domiciliés en France.
Cette opération avait donné lieu à un double prélèvement : EUR 244’425 en France sur la valeur en nue-propriété des actions et EUR 183’897 en Suisse sur la valeur en pleine propriété de ces mêmes actions. En effet, dans le canton de Vaud, le principe du démembrement étant méconnu, les droits de donation portent sur la valeur en pleine propriété des biens transmis.
L’administration fiscale française n’avait consenti qu’à une imputation partielle, au prorata de la nue-propriété, refusant ainsi de rembourser EUR 73’718.
Le contribuable soutenait à juste titre que le texte de l’article 784 A ne pose que deux limites au droit à restitution :
- le montant ne peut excéder l’impôt payé en France ;
- et il doit porter sur des biens situés hors de France.
Saisie du litige, la Cour a rappelé que l’objectif premier de l’article 784 A est de lutter contre la double imposition et non d’aligner mécaniquement les bases taxables.
Elle a jugé que le texte permet de prendre en compte l’impôt réellement acquitté à l’étranger, indépendamment de son mode de calcul ou de l’assiette retenue.
Selon le juge français, exiger une identité d’assiette reviendrait à introduire une condition que la loi n’a pas prévue et priverait d’effet utile le mécanisme d’imputation.
Cette décision renforce ainsi une lecture extensive du mécanisme d’imputation prévu par l’article 784 A.
Il convient d’approuver la Cour en ce qu’elle a privilégié la logique économique et patrimoniale du dispositif, donc la finalité de lutte contre la double imposition sur les biens étrangers, et écarté toute interprétation restrictive du mécanisme.
Le mécanisme d’imputation peut désormais s’appliquer même si la fiscalité étrangère porte sur une assiette plus large (pleine propriété vs nue propriété).
Sécurisation des transmissions transfrontalières
Cette jurisprudence marque une avancée importante. Elle offre aux familles concernées une plus grande sécurité juridique dans leurs opérations patrimoniales entre la France et des pays tiers, notamment la Suisse avec laquelle la France ne dispose pas de convention de non-double imposition en matière de succession.
Au-delà du cas d’espèce, cette décision pourrait conduire l’administration fiscale française à revoir sa doctrine et à appliquer de manière plus souple le dispositif d’imputation. Elle ouvre ainsi la voie à une meilleure coordination entre fiscalités nationales, absolument bienvenue dès lors que la reprise à court ou moyen terme des négociations pour l’adoption d’une nouvelle convention fiscale franco-suisse en matière de succession semble désormais illusoire.
Pour les entrepreneurs et familles établis de part et d’autre de la frontière, cette évolution est riche d’enseignements :
- Anticiper les différences d’assiette entre les régimes fiscaux nationaux est crucial ;
- L’imputation de l’impôt étranger est un levier à intégrer dans toute stratégie de transmission patrimoniale ;
- Une jurisprudence favorable peut être invoquée pour contester un refus d’imputation trop restrictif ou réexaminer les situations passées pour identifier des imputations partielles à rectifier.
L’accompagnement d’un conseil rompu aux subtilités fiscales franco-suisses reste indispensable pour sécuriser ces opérations complexes.
Stéphanie Barreira
Partner, Paris