Après la surprise du dérapage du déficit public français en 2023 (5,5% plutôt que les 4,9% attendus), le débat sur les finances publiques prend de l’ampleur. Les décisions des grandes agences de notation donnent des sueurs froides au gouvernement, lequel attend avec crainte la position de Standard & Poors prévue pour le 31 mai.
Le discours actuel se veut rassurant : la réduction du déficit passera exclusivement par une réduction des charges, en aucun cas par une augmentation des impôts, notamment sur la tête des ménages !
Les prochaines réunions du conseil des gouverneurs de la BCE (en juin et juillet) et l’envoi du Programme de stabilité 2024 à la Commission européenne amènent cependant à s’interroger sur la fiabilité de cette position de principe et, par conséquent, à anticiper dès à présent les positions susceptibles d’être prises, à brève échéance, en matière de recettes fiscales.
Nous ne nous attarderons pas sur la question des droits de donation ou de succession dès lors que malgré les débats récurrents autour de leur allègement ou de leur alourdissement, il est aujourd’hui beaucoup trop aléatoire d’anticiper quoi que ce soit sur le sujet, ce d’autant que ce type d’imposition ne permet pas à un gouvernement d’accélérer mécaniquement l’entrée des recettes fiscales (en tout cas pour ce qui est des droits de succession).
Il pourrait néanmoins en être autrement en matière de droits de donation en prévoyant une «fenêtre» de quelques mois à quelques années de réductions drastiques des modalités d’imposition (assiette ou taux). Une telle mesure d’anticipation des transmissions permettrait assurément d’accélérer les rentrées fiscales tout en injectant des capitaux vers les jeunes générations, plus propices à consommer. Une telle mesure pourrait ainsi, au surplus, relancer un marché immobilier aujourd’hui totalement à l’arrêt.
Il s’agirait toutefois d’une décision éminemment politique difficile à articuler dans un contexte parlementaire où le gouvernement ne dispose pas d’une majorité à l’Assemblée Nationale. En matière de décision politique, l’idée d’une restauration de l’impôt sur la fortune doit également être abordée, pour mieux la gérer, le moment venu.
Dans ce cadre, il convient d’anticiper dès à présent dans les schémas d’organisation patrimoniale un possible retour de l’ISF en réactualisant les notions de «biens professionnels», «plafonnement des revenus», «interposition de sociétés holding», etc. Une telle anticipation doit ainsi permettre de mettre en place des schémas pérennes et sécurisés et, surtout, de ne pas avoir à déconstruire, avec les coûts induits, des structurations planifiées par essence pour le long terme.
La taxation forfaitaire au taux de 30% (prélèvements sociaux de 17,2% inclus) sur les produits financiers (dividendes et intérêts) ainsi que sur les gains de cession de valeurs mobilières est, depuis 2018, un véritable avantage pour les investisseurs privés. N’oublions pas qu’antérieurement, ces revenus financiers étaient taxés au même taux que n’importe quel autre revenu, à un taux marginal de 45%, hors prélèvements sociaux (soit 62,2% au total).
Afin d’anticiper toute modification sur la fiscalité de l’épargne, il peut être conseillé, lorsque cela est possible – notamment au sein des sociétés familiales – de procéder à des distributions de réserves aux actionnaires, à charge pour eux, le cas échéant, de laisser l’argent dans l’entreprise (compte courant d’associés) afin de ne pas obérer la trésorerie. Des opérations sur le capital peuvent, dans le même sens, permettre d’externaliser des plus-values.
Il convient cependant de garder à l’esprit que des opérations réalisées dans le courant de l’année 2024 pourraient néanmoins être impactées par une réforme fiscale votée fin 2024. C’est ce que l’on appelle la «petite rétroactivité», très injuste mais considérée comme légale par les juridictions françaises.
Par exemple, si une distribution de dividendes intervient en juin 2024, sous l’empire de la taxation forfaitaire de 30%, mais qu’une augmentation des contributions sociales est votée en novembre 2024 pour les porter de 17,2% à 20%, le taux d’imposition sera augmenté rétroactivement de 2,8% sur toute l’année 2024, pour atteindre 32,8% au final.
Enfin, en cas de projet de transfert de domicile à l’étranger, il peut faire sens de faire intervenir la délocalisation plutôt avant le 31 décembre 2024. En effet, depuis les assouplissements intervenus début 2019, l’«exit tax» sur la fortune mobilière a été réduite de 15 ans à 5 ans (voire 2 ans). Il n’est pas du tout certain qu’un tel assouplissement perdure, comme il n’est pas certain non plus que d’autres mesures restrictives aux transferts de résidence ne soient pas instaurées, notamment comme corolaire à de fortes augmentations d’impôts.