AMLA and criminal liability of companies in cases of money laundering

Allnews – September 2025
Frédérique Bensahel
Julien Le Fort

Le traitement juridique du blanchiment d’argent est en mutation depuis les années 1990. L’introduction de la LBA en 1998 a été une étape majeure. Depuis lors, les dispositions d’application (OBA, OBA-Finma) ont été régulièrement modifiées. En 2003, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt de principe selon lequel un acte de blanchiment d’argent peut donner lieu à une responsabilité civile vis-à-vis du lésé de l’infraction préalable. En 2003 également, le législateur fédéral a adopté la norme sur la responsabilité pénale de l’entreprise ; cette norme vise en particulier les cas de blanchiment d’argent.

Ainsi, en application de l’article 102 al. 2 du Code pénal (CP), une entreprise peut être condamnée pénalement si un acte de blanchiment est commis en son sein, dans l’exercice de ses activités commerciales et que l’entreprise n’a pas pris « toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher une telle infraction ».

La condamnation de l’entreprise suppose donc qu’une personne physique au sein de l’entreprise ait commis un acte de blanchiment d’argent et que l’entreprise n’ait pas pris toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher ce blanchiment.

Pour les établissements financiers, cette dernière condition pose question. Quelles mesures d’organisation « raisonnables et nécessaires » doivent-elles être prises au sein de l’établissement pour le mettre à l’abri d’une condamnation pénale ? Comme chacun sait, nul n’est à l’abri d’un employé indélicat. Compte tenu de cet aléa, quelles mesures de surveillance sont-elles attendues ?

La doctrine et la jurisprudence (encore peu abondante) semblent s’accorder sur le fait que les « mesures d’organisation raisonnables et nécessaires » correspondent à la mise en œuvre des obligations légales en matière de blanchiment applicables à l’entreprise.

En clair : si l’entreprise a respecté les dispositions en matière de blanchiment qui lui sont applicables (LBA, OBA, OBA-Finma, CDB, …), on considèrera en principe qu’elle a pris les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires ; elle devrait éviter une condamnation pénale.

Dans le cas contraire, soit si l’entreprise a violé une obligation, elle s’expose au reproche de n’avoir pas pris toutes les mesures raisonnables et nécessaires.

Toutefois, pour que le manquement aboutisse à la condamnation pénale de l’entreprise, encore faut-il que ce manquement soit en lien de causalité avec l’acte de blanchiment commis au sein de l’entreprise.

Illustrons le propos par un exemple (fictif). Il s’avère qu’une banque n’a pas correctement identifié les ayant droits économiques de certaines relations d’affaires. Par ailleurs, il est établi qu’un employé en son sein a délibérément aidé un client à dissimuler des fonds d’origine criminelle et à déjouer les systèmes de la banque. Toutefois, le défaut d’identification par la banque des ayant droit économiques de certaines relations d’affaires n’est pas en cause : l’acte de blanchiment commis par l’employé concerne une relation pour laquelle l’ayant droit économique avait été correctement identifié. Dans un tel cas, le défaut d’organisation de la banque ne pourra pas servir de base à la condamnation pénale de l’entreprise sur la base de l’article 102 al. 2 CP pour l’acte de blanchiment commis en son sein. On ne pourra pas considérer que la banque n’a pas pris toutes les mesures raisonnables et nécessaires qui s’imposaient alors que les manquements reprochés en termes d’organisation sont sans lien avec l’acte de blanchiment de l’employé. En l’absence d’autres manquements, l’entreprise devrait échapper à toute sanction pénale. L’employé quant à lui pourra évidemment être poursuivi et condamné.

Comme dans toute procédure pénale, il appartient à l’autorité de poursuite d’instruire et d’établir les faits. Pour aboutir à une condamnation de la banque dans notre exemple, il reviendrait au Ministère public de démontrer que l’acte de blanchiment aurait été évité si la banque avait pris toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires. Précisons à cet égard que le Ministère public dispose de pouvoirs d’investigation très étendus, si bien qu’il a accès à toute la documentation interne de l’entreprise, y compris les courriels envoyés ou reçus par ses collaborateurs.

Lorsqu’une entreprise est condamnée pénalement, la sanction est une amende de 5’000’000 de francs au maximum. D’autres mesures peuvent entrer en ligne de compte, comme la confiscation des gains indûment obtenus ou le prononcé d’une créance compensatrice correspondant aux gains (de manière à garantir que le crime ne paie pas).

En outre, la condamnation pénale d’un établissement financier entraîne souvent des conséquences administratives sous l’égide de la Finma et des conséquences commerciales en raison du dégât d’image.

L’arsenal juridique de lutte contre le blanchiment d’argent s’amplifie et se complexifie chaque année. L’article 102 du Code pénal s’imbrique dans cet arsenal, le complète et le renforce. Cette disposition accroît aussi les risques auxquels sont confrontés les établissements financiers pour le cas où un acte de blanchiment surviendrait en leur sein. Le strict respect des obligations prudentielles en matière de blanchiment limite ce risque de manière substantielle.

Frédérique Bensahel
Partner, Geneva

Julien Le Fort
Associate, Geneva

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