En juillet 2023, nous avons publié un article portant sur la controverse entourant le caractère exécutoire de la communication du dispositif du jugement rendu en procédure sommaire, ainsi que sur les pratiques de certaines juridictions cantonales, en particulier celles des cantons de Vaud et Zurich.
Pour rappel, il ressort de la pratique de ces juridictions qu’une décision de première instance n’est considérée comme exécutoire qu’une fois la motivation du jugement notifiée aux parties.
Nous avons plaidé que cette pratique était contraire à l’intention du législateur et apparaissait erronée depuis l’entrée en vigueur du CPC, le 1er janvier 2011.
Dans cet article, nous ferons le point sur cette pratique en prenant en considération les dernières jurisprudences dans le domaine.
Dès lors que cette pratique a un impact direct sur le processus complexe et délicat du recouvrement de créances, nous avons jugé utile de proposer des précautions à prendre tant à l’attention du débiteur que du créancier.
En effet, certains aspects techniques tels que le caractère exécutoire d’une décision de mainlevée, le délai pour introduire l’action en libération de dette ou encore le recours et la notion d’effet suspensif, sont autant de points à considérer avec attention dans cette phase de l’exécution forcée.
I. De l’engagement de la poursuite
Lorsqu’un créancier cherche à récupérer une créance impayée, il peut initier une procédure de poursuite en déposant une réquisition de poursuite conformément à l’art. 67 LP. Une fois correctement formulée, l’office des poursuites adresse alors au présumé débiteur un commandement de payer, équivalant à une sommation (GILLIÉRON, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, Chapitre II : Le commandement de payer, N 631).
L’office des poursuites notifie le commandement de payer au plus tard le lendemain du jour où la réquisition de poursuite lui parvient, conformément à l’art. 71 LP.
II. De la réaction du débiteur au commandement de payer
Suite à la notification d’un commandement de payer, le débiteur a le choix entre deux options. La première consiste à s’opposer au commandement de payer, tandis que la seconde implique de ne pas s’y opposer. Dans ce cas, passé le délai de dix jours suivant la notification, la créance sera réputée comme reconnue, et la procédure de poursuite ira sa voie.
Après la notification d’un commandement de payer, le débiteur dispose d’un délai de dix jours pour former une opposition, conformément à l’art. 74 al. 1 LP. Ce délai est le même dans la poursuite en réalisation de gage (art. 153 al. 4 LP cum art. 74 LP). L’opposition n’est soumise à aucune forme particulière. Il suffit que la volonté de s’opposer
au commandement de payer soit manifeste et sans équivoque.
L’opposition suspend la poursuite et l’office des poursuites ne doit pas donner suite à une réquisition de la continuer. Il appartient alors au créancier de reprendre l’initiative s’il ne veut pas que la poursuite demeure en l’état et se périme à l’issue d’une année.
III. Des options du créancier face à l’opposition
En cas d’opposition du débiteur à un commandement de payer, le créancier se trouve face à quatre hypothèses possibles (GILLIÉRON, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, Chapitre III : L’opposition, N 699). La première : il demeure inactif et la poursuite sera périmée passer un certain délai (Ibidem, N 670). La deuxième : le poursuivant n’est pas en possession d’un titre lui permettant de justifier l’exigibilité de sa créance. Il doit ouvrir devant les tribunaux ordinaires, une action en reconnaissance de dette (art. 79 LP et 186 LP). La troisième : le créancier possède un acte de défaut de biens après la faillite et décide de continuer la faillite. La quatrième : celle qui sera abordée plus en détail, le créancier a un titre de créance et décide de passer par la procédure de mainlevée de l’opposition.
La requête de mainlevée est traitée en procédure sommaire et contradictoire. Le créancier vise à faire lever l’opposition, que ce soit de manière provisoire (art. 80 et 81 LP) ou définitive (art. 82 et 83 LP).
Il est essentiel de distinguer les situations permettant au poursuivant d’obtenir une décision de mainlevée définitive et celles aboutissant à la mainlevée provisoire de l’opposition formée au commandement de payer.
Pour obtenir la mainlevée définitive, le poursuivant doit disposer d’un jugement exécutoire (art. 80 al. 1 LP). Les titres permettant la mainlevée définitive incluent « les jugements des tribunaux étatiques, les sentences arbitrales, les transactions ou reconnaissances passées en justices, les titres authentiques exécutoires, ainsi que les décisions des autorités administratives suisses » (ABBET, La Mainlevée de l’opposition, art. 80, N 2).
En ce qui concerne la mainlevée provisoire, le créancier ne dispose pas d’une décision exécutoire, mais il est néanmoins en possession d’une reconnaissance de dette. Si la mainlevée provisoire est prononcée, le poursuivant pourra requérir la saisie provisoire ou l’inventaire (art. 83 al. 1 LP).
IV. De l’effet suspensif du recours contre le jugement de mainlevée provisoire
De la position du débiteur
À la différence d’un jugement de mainlevée définitive, le jugement de mainlevée provisoire n’est exécutoire que si, dans les vingt jours suivant sa notification, aucune action en libération de dette n’a été introduite ou lorsque celle-ci a été rejetée ou déclarée irrecevable (BERGAMIN, Rechtskraft und Vollstreckbarkeit : Wann ist der Rechtsvorschlag definitiv beseitigt ? BISchK 2020 p. 153 ss ; MARKUS/WUFFLI, Rechtskraft une Vollstreckbarkeit : zwei Begriffe, ein Konzept ; RJB 151/2015 p. 105 ss ; STAEHELIN in Basler Kommentar, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, vol. I 3ème édition 2021, N 13 ad art. 83 LP). Cette action consiste à faire constater l’inexistence ou l’inexigibilité de la créance déduite en poursuite (art. 83 al. 2 LP ; VEUILLET/ ABBET, La Mainlevée de l’opposition, art. 82, N 1).
Il convient de distinguer deux délais commençant à courir dès la notification du jugement de mainlevée provisoire de l’opposition. Le premier concerne le recours contre la décision (art. 319 ss CPC), tandis que le second concerne l’introduction de l’action en libération de dette (CHENEAUX, Le recours et la LP, JdT 2022 II p. 51 ss).
S’il recourt contre le jugement de mainlevée, le débiteur devra solliciter l’effet suspensif et il lui incombera de veiller à ce que ledit effet soit effectivement accordé (arrêt du Tribunal fédéral 5A_579/2022 du 1er mai 2023), étant rappelé qu’un tel recours n’a pas un effet suspensif automatique.
En effet, si l’effet suspensif est accordé, il déploie ses effets ex tunc, ce qui signifie qu’il rétroagit à la date de la décision entreprise. Ainsi, le délai pour introduire l’action en libération de dette ne commencera à courir qu’au jour de la notification de l’arrêt sur recours prononcé par la juridiction supérieure, si ce recours a été rejeté (cf. ATF 127 III 569 consid. 4, SJ 2002 I 54 ; ABBET N 137 ad art. 84 LP ; SCHMIDT in Commentaire romand, Poursuite et faillite, 2005, N 14 ad art. 83 LP).
En d’autres termes, lorsque l’effet suspensif au recours est octroyé, le débiteur est dispensé d’introduire l’action en libération de dette aussi longtemps qu’un tribunal n’a pas définitivement statué sur la mainlevée de l’opposition (JEANDIN in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème édition 2019, N 7 ad art. 325 CPC). Cette situation est donc favorable au débiteur et lui permet d’éviter que deux procédures soient conduites parallèlement, l’une sur le sort de la mainlevée provisoire de l’opposition, l’autre pour obtenir la libération de la dette (MARKUS/WUFFLI, p. 106).
Cependant, il est tout à fait possible que l’effet suspensif ne lui soit pas octroyé. Dans une telle situation, il lui incombe de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder le délai de l’art. 83 al. 2 LP pour introduire son action en libération de dette (ATF 127 III 569 consid. 4, SJ 2002 I 54 ; ABBET, N 228 ad art. 83 LP).
En d’autres termes, le débiteur prudent introduira simultanément son recours contre le jugement de mainlevée et son action en libération de dette quitte à en demander ensuite la suspension jusqu’à droit connu sur son recours qui aurait été assorti d’un effet suspensif.
De la position du créancier
Après le prononcé du jugement de mainlevée de l’opposition, le créancier peut en principe demander la continuation de la poursuite, le jugement étant exécutoire, indépendamment de la possibilité pour le débiteur d’interjeter recours, à condition que celui-ci n’ait pas un effet suspensif (ATF 130 III 657 consid. 2.1 ; 126 III 479 consid. 2a et b ; 101 III 40 consid. 2).
Partant, en présence d’un jugement de mainlevée définitive, immédiatement exécutoire, l’office est en droit de donner suite immédiatement à la requête de continuation de la poursuite (ATF 130 III 657 consid. 2.1 ; 126 III 479 consid. 2b).
En revanche, en cas de jugement de mainlevée provisoire, le créancier doit toujours démontrer que le délai pour introduire l’action en libération de dette est échu sans avoir été utilisé ou que l’action a été rejetée, de telle sorte que la mainlevée devienne définitive (art. 83 al. 2 et 3 LP ; BERGAMIN, p. 153ss).
V. Du caractère exécutoire des décisions non motivées sujettes à une voie de droit dépourvue d’effet suspensif automatique
La question du caractère exécutoire des décisions non motivées, sujettes à une voie de droit dépourvue d’effet suspensif automatique, a suscité de nombreux débats. Certains auteurs avançaient que la décision ne pourrait être exécutoire qu’après la notification d’un jugement motivé si la motivation du dispositif avait été demandée. Selon ces mêmes auteurs, la décision ne deviendrait exécutoire qu’une fois l’expédition complète et le délai pour recourir échu.
Comme mentionné dans notre précédent article de juillet 2023, cette position était critiquable. Elle correspondait à celle de la jurisprudence du canton de Vaud, soutenant que la décision de première instance ne serait exécutoire qu’après la notification de la motivation du jugement aux parties, dans la mesure où la motivation aurait été demandée en vertu de l’art. 239 al. 2 CPC.
Cette pratique reposait sur l’idée d’appliquer par analogie l’art. 112 LTF aux décisions rendues par une autorité de première instance cantonale. En réalité, cette approche trouvait son fondement dans une jurisprudence zurichoise considérant que l’objet de l’art. 112 LTF serait identique à celui de l’art. 239 CPC, à savoir l’efficacité de la procédure, ce qui justifierait l’application par analogie.
Partant, cette position suggère de conditionner l’obtention du caractère exécutoire de la décision de première instance à la notification de la motivation (CORBOZ, Commentaire de la LTF, 2ème édition, n. 52 ad art. 112 LTF). En d’autres termes, a contrario, la simple communication du dispositif ne déclencherait pas l’entrée en force de la décision.
Une autre partie de la doctrine, à laquelle nous nous étions ralliés, à l’instar de plusieurs autorités cantonales, soutient que les décisions de première instance, ne pouvant être attaquées que par un recours au sens strict ou par un appel sans effet suspensif, peuvent être qualifiées d’exécutoire, avec la simple communication du dispositif.
Ainsi, pendant l’écoulement du délai pour requérir la motivation écrite, dans la mesure où celle-ci serait requise, et ce, jusqu’à l’écoulement du délai de recours, la décision est considérée comme exécutoire (art. 325 al. 1 et 315 al. 4 CPC).
VI. De la conclusion
Heureusement pour les praticiens et les particuliers désorientés, le Tribunal fédéral a clarifié la controverse entourant le caractère exécutoire des décisions non motivées, sujettes à une voie de droit dépourvue d’effet suspensif automatique, dans son arrêt 5A_558/2023 du 28 août 2023 (SJ 2023 N 10).
En effet, selon lui, il n’est « pas arbitraire de retenir que le caractère exécutoire d’une décision sujette à une voie de droit sans effet suspensif automatique ne dépend pas de sa motivation écrite, mais seulement de la communication de son dispositif aux parties ».
Cette solution est en adéquation avec la révision du CPC adoptée le 17 mars 2023 (consid. 3.2).
Ainsi, pour éviter l’exécution forcée, nous recommandons au débiteur/recourant de solliciter du Tribunal supérieur le prononcé de mesures provisionnelles afin d’empêcher ladite exécution (application par analogie de l’art. 263 CPC ; BULLETTI, in CPC Online, Newsletter du 17 novembre 2016 et les jurisprudences cantonales citées ; STAEHELIN/ BACHOFNER, Vollstreckung im Niemandsland, in Jusletter 16 avril 2012, N. 14).
Le débiteur prudent veillera également à préserver le délai fixé pour l’introduction d’une éventuelle action en libération de dettes.