Succession et information bancaire : quel accès pour les héritiers ?

Allnews – Octobre 2025
Serge Fasel
& Théo Goetschin

Lorsqu’une succession s’ouvre, l’une des premières mesures consiste pour l’héritier à reconstituer le patrimoine du défunt afin d’en déterminer sa composition et son étendue. Une fois la situation patrimoniale clarifiée, l’héritier saura s’il doit faire valoir ses droits, et contre qui.

Les établissements bancaires constituent à cet égard une véritable mine d’informations pour l’héritier, dans la mesure où ils détiennent l’historique de la relation du de cujus durant plusieurs années. Ces renseignements demeurent toutefois protégés par divers secrets, tels que le secret bancaire et l’intérêt du défunt au respect de sa sphère privée, créant une tension entre le droit des héritiers à l’information et le devoir de discrétion de la banque.

Dans ce contexte, quelles démarches un héritier dûment légitimé peut-il entreprendre pour obtenir des informations lorsque le défunt était titulaire ou ayant droit économique d’un compte ?

Le droit d’accès d’un héritier aux informations bancaires repose sur deux fondements : l’un contractuel, tiré de la relation entre le défunt et la banque, et l’autre successoral, lié à la qualité d’héritier et aux actions en réduction, rapport ou partage qui en découlent.

Selon le droit des obligations, la banque doit rendre compte de sa gestion au mandant, c’est-à-dire au titulaire du compte (art. 400 al. 1 CO). Ce devoir subsiste après le décès, au bénéfice de l’héritier qui succède au défunt en qualité de titulaire du compte. À ce titre, il peut obtenir toutes les informations relatives aux avoirs du défunt au jour du décès (SJ 2025 n° 10, p. 870).

Pour les opérations antérieures, l’intérêt de l’héritier s’oppose en principe à celui du défunt au respect de sa sphère privée, laquelle comprend tant les faits personnels que les aspects économiques tels que les transferts effectués durant la vie du compte, qu’il ait ou non demandé leur confidentialité (TF 4A_522/2018, consid. 4.5.2).

Toutefois, lorsque la diligence de la banque ou la conformité des opérations effectuées sur les instructions du défunt sont remises en cause, l’héritier peut requérir les informations nécessaires pour contrôler la bonne exécution du mandat et, le cas échéant, engager la responsabilité de l’établissement (TF 4A_522/2018, consid. 4.2.2.1 ; ACJC/78/2023, consid. 4.1.3). Dans ce cas, la prétention exercée est de nature contractuelle, puisqu’elle découle de la relation entre le défunt et la banque (ATF 138 III 728, consid. 3.5 ; TF 5A_947/2013, consid. 3.3.4.1).

L’héritier peut également invoquer un droit successoral à l’information, s’il rend vraisemblable un intérêt juridique concret, soit la possibilité d’introduire une action en réduction, en rapport ou en partage (ATF 132 III 677, consid. 4.2.4 ; TF 4A_522/2018, consid. 4.3). Seul l’héritier réservataire dont la réserve est potentiellement lésée, ou celui disposant d’un droit au rapport, peut prétendre à des renseignements concernant les opérations antérieures au décès (TF 5A_620/2007, consid. 7.1). Ces informations doivent être utiles à la défense de ses droits successoraux et se limiter à ce qui est nécessaire à cet égard.

Sur le plan international, la distinction entre ces deux fondements détermine le régime applicable.

  • Une demande fondée sur la relation contractuelle entre un défunt domicilié à l’étranger et une banque suisse relève souvent de la Convention de Lugano (art. 1 al. 1 CL). En pratique, les conditions générales des banques soumettent généralement la relation contractuelle au droit suisse, de sorte que la demande reste régie par l’article 400 al. 1 CO.
  • En revanche, une demande fondée sur le droit successoral est soumise à la Loi sur le droit international privé (LDIP), pour autant qu’aucun traité international ne prime sur cette loi : la compétence revient à la juridiction du dernier domicile du défunt (art. 86 LDIP), et l’étendue du devoir d’information s’apprécie selon la loi applicable à la succession (TF 4A_522/2018, consid. 4.4.2).

La situation diffère lorsque le défunt n’était pas titulaire, mais ayant droit économique d’un compte bancaire. Le secret bancaire lui est alors pleinement opposable. L’ayant droit économique n’étant pas partie à la relation contractuelle entre le titulaire du compte et la banque, il ne dispose d’aucun droit à l’information sur l’état du compte (TF 4C.108/2022, consid. 3.c.aa).

Faute de lien contractuel, son héritier ne peut lui succéder dans cette relation. La banque n’ayant aucun devoir d’information, l’héritier d’un ayant droit économique se heurtera à un refus de communication des données bancaires (KESSLER / CHAPUS-RAPIN / EIGENMANN, Ayant droit économique et succession, Journée de droit successoral 2023, p. 29). Dans une telle hypothèse, le seul fondement susceptible d’être invoqué est celui du droit successoral. L’héritier doit rendre vraisemblable un intérêt juridique à la restitution de biens susceptibles d’appartenir à la succession, notamment par une action en réduction et restitution ou par l’action en rapport et en partage. Ce droit à l’information ne vaut que dans la mesure où il est nécessaire à la défense de ses droits successoraux, l’intérêt du défunt à la confidentialité devant prévaloir lorsque l’héritier ne dispose d’aucun de ces droits (KESSLER / CHAPUS-RAPIN / EIGENMANN, op. cit., p. 35).

Sur le plan international, la même logique prévaut : le droit aux renseignements de nature successorale est régi par la LDIP, la compétence appartenant à la juridiction du dernier domicile du défunt (art. 86 LDIP) et l’étendue du devoir d’information s’appréciant selon la loi applicable à la succession.

Serge Fasel
Associé, Genève
&
Théo Goetschin
Counsel, Genève

Les auteurs remercient Noémie Pauli pour son aide à l’élaboration de cet article

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