La présente étude a pour objet de dresser un panorama de l’actualité fiscale suisse et française, concernant des problématiques susceptibles d’intéresser les deux juridictions, aussi bien en matière conventionnelle, en matière de législation interne suisse, qu’en matière jurisprudentielle.
1. Actualité conventionnelle franco-suisse
A. – Négociation d’une nouvelle convention fiscale franco-suisse en matière de succession
Préalable :
Rép. min. n° 2235 : JOAN 7 févr. 2023, Sabatou
Question n° 76 : JOAN 7 janv. 2025, p. 273, Rousselot (réponse en séance du 22 janv. 2025)
1. – Monsieur Alexandre Sabatou, député, a alerté monsieur le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique sur la double imposition que subissent les Français vivant en France héritant d’un proche résidant en Suisse et ayant des biens meubles ou immeubles en France. Depuis l’abrogation de la convention franco-suisse du 31 décembre 1953, les héritiers français sont en effet soumis à une double imposition potentiellement confiscatoire si le bien hérité d’un résident suisse est situé en France. Dans la réponse du 7 février 2023, monsieur le ministre répond que, si une convention en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur les successions, signée à Paris le 31 décembre 1953, liait la France et la Suisse jusqu’au 31 décembre 2014, cette convention était devenue incompatible avec la bonne application de la législation française actuelle en matière de droits de succession, créant des situations de non-imposition et d’optimisation au détriment des finances publiques françaises. C’est pourquoi un projet de nouvelle convention, conforme aux principes internationaux reconnus, avait été finalisé en 2012 entre les autorités fiscales françaises et suisses. Cependant, du fait de son rejet par le Parlement suisse, la France a procédé à la dénonciation de la convention de 1953 le 17 juin 2014. Cette dénonciation a été publiée le 24 décembre 2014 et la convention a donc cessé de produire ses effets au 1er janvier 2015. Dans ce nouveau contexte, c’est désormais la législation française qui s’applique intégralement, prévoyant l’imposition des biens meubles et immeubles situés en France et à l’étranger lorsque le défunt a son domicile fiscal en France. De même, les transmissions de meubles et d’immeubles situés en France qui font suite au décès d’un non-résident et sont effectuées au profit d’un autre non-résident peuvent être taxées en France. Par ailleurs, la législation française permet l’imposition des biens meubles et immeubles situés en France et à l’étranger reçus par un héritier ayant son domicile fiscal en France et qui l’a eu pendant au moins 6 ans au cours des 10 années précédant celle de la transmission.
Monsieur le ministre rappelle que, en parallèle, l’article 784 A du CGI prévoit un mécanisme permettant d’assurer l’élimination de la double imposition relative aux biens meubles et immeubles situés à l’étranger. En revanche, s’agissant de successions relatives à des biens situés en France, il ne serait ni justifié, ni légitime que la France renonce à imposer au profit d’un autre État.
Enfin, monsieur le ministre précise la position de la France sur sa politique conventionnelle lorsqu’il indique que, si la France dispose d’un vaste réseau conventionnel (plus de 120 conventions d’élimination des doubles impositions), le nombre de traités couvrant les successions est très minoritaire (33). Il conclut que, comme de nombreux États, la France ne souhaite plus conclure de nouvelles conventions sur les successions et que le contexte franco-suisse n’a par conséquent rien d’exceptionnel.
2. – En dépit de cette réponse récente et sans ambigüité, Monsieur Raphaël Schellenberger a saisi monsieur le ministre d’une nouvelle question quant à la reprise des négociations entre la France et la Suisse, eu égard notamment aux relations économiques et fiscales étroites que les deux pays entretiennent. La réponse du 1er avril dernier est parfaitement claire, reprenant totalement les termes de la réponse Sabatou :
Une convention en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur les successions, signée à Paris le 31 décembre 1953, liait la France et la Suisse jusqu’au 31 décembre 2014. Cette convention était incompatible avec la bonne application de la législation française actuelle en matière de droits de succession, car elle créait des situations de non-imposition et d’optimisation au détriment des finances publiques françaises. C’est pourquoi un projet de nouvelle convention, conforme aux principes internationaux reconnus, avait été finalisé en 2012 entre les autorités fiscales françaises et suisses. Cependant, du fait de son rejet par le Parlement suisse, la France a procédé à la dénonciation de la convention de 1953 le 17 juin 2014. Cette dénonciation a été publiée le 24 décembre 2014 et la convention a donc cessé de produire ses effets au 1er janvier 2015. C’est désormais la législation française qui s’applique intégralement. Elle prévoit l’imposition des biens meubles et immeubles situés en France et à l’étranger lorsque le défunt a son domicile fiscal en France. De même, les transmissions de meubles et d’immeubles situés en France qui font suite au décès d’un non-résident et sont effectuées au profit d’un autre non-résident peuvent être taxées en France. Par ailleurs, la législation française permet l’imposition des biens meubles et immeubles situés en France et à l’étranger reçus par un héritier ayant son domicile fiscal en France et qui l’a eu pendant au moins six ans au cours des dix années précédant celle de la transmission. En parallèle, l’article 784 A du code général des impôts prévoit un mécanisme permettant d’assurer l’élimination de la double imposition relative aux biens meubles et immeubles situés à l’étranger, qui peut résulter de la mise en œuvre concurrente de plusieurs dispositifs nationaux. En revanche, s’agissant de successions relatives à des biens situés en France, il ne serait ni justifié, ni légitime que la France renonce à imposer au profit d’un autre État. Enfin, il convient de noter que si la France dispose d’un vaste réseau conventionnel puisqu’elle est liée avec plus de 120 partenaires par une convention d’élimination des doubles impositions, le nombre de traités couvrant les successions reste très minoritaire (33). Ceux-ci sont généralement anciens, car la France, comme de nombreux États, ne souhaite plus en conclure. Le contexte franco-suisse n’a par conséquent rien d’exceptionnel.
Le débat relatif à la reprise des négociations, à court ou moyen terme, entre la France et la Suisse, semble donc désormais définitivement clos.
B. – Avenant à la convention fiscale franco-suisse sur les revenus et sur la fortune
Préalable :
Sénat, Projet de loi n° 706, 26 juin 2024, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée
3. – L’avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966, signé le 27 juin 2023, a été présenté devant le Sénat le 26 juin 2024 pour approbation. Le présent avenant a pour objectifs de créer un nouveau régime d’imposition des revenus en matière de télétravail ainsi que d’intégrer dans la convention les derniers standards internationaux développés par l’OCDE dans le cadre du projet de lutte contre l’érosion des bases d’imposition et les transferts de bénéfices (BEPS).
Le Sénat vient d’adopter lors de sa séance publique du 3 avril 2025 le texte sur l’approbation de l’avenant. Le texte a été déposé à l’Assemblée nationale le 4 avril 2025 ce qui peut laisse penser (et espérer) une adoption très prochaine de l’avenant.
C. – Assistance administrative internationale en matière fiscale
Préalable :
Tribunal fédéral, 15 mars 2024, 2C_795/2022
4. – Le 15 mars 2024, le Tribunal fédéral (TF) a rendu une décision tranchant la question de principe relative à l’application dans le temps de l’article 18a de la loi fédérale sur l’assistance administrative internationale en matière fiscale (LAAF). Dans cet arrêt, la requérante soulevait notamment la question de savoir si l’assistance administrative pouvait être accordée à une demande qui concernait une personne décédée avant l’entrée en vigueur de l’article 18a LAAF au 1er novembre 2019.
En 2016, la Direction générale des finances publiques française (DGFiP) avait adressé une demande d’assistance administrative en matière fiscale à l’administration fédérale des contributions (AFC) fondée sur l’article 28 de la convention fiscale franco-suisse. La demande visait à obtenir des informations à propos d’un compte bancaire vraisemblablement détenu par un contribuable français, pour les périodes fiscales allant de 2010 à 2014 pour l’impôt sur le revenu et de 2010 à 2015 pour l’impôt de solidarité sur la fortune. Fin 2018, ledit contribuable décède et son épouse devient seule héritière du compte bancaire concerné. Près de 2 années et demie plus tard, l’AFC finit par accorder l’assistance administrative. Nonobstant le décès du contribuable en cours de procédure, l’AFC retient que les conditions de l’assistance sont réunies. L’épouse du contribuable forme alors un recours au Tribunal administratif fédéral (TAF), puis au Tribunal fédéral.
Le Tribunal fédéral commence par rappeler que dans le domaine de l’assistance administrative internationale en matière fiscale, le recours en matière de droit public n’est recevable que dans certains cas, notamment lorsqu’une question juridique de principe se pose (LTF, art. 83 let. h cum ; LTF, art. 84a). Dans le cas d’espèce, l’application de l’article 18a LAAF soulève deux questions juridiques de principe : i) déterminer si la norme s’applique aux contribuables décédés avant l’entrée en vigueur de celle-ci, ii) établir si la norme trouve également application aux demandes d’assistance administrative, respectivement aux périodes fiscales antérieures au 1er novembre 2019.
À cet égard, l’échange de renseignements fiscaux sur demande instaure une collaboration entre États, laquelle ne prévoit pas la participation des personnes qui en font l’objet. Dans l’hypothèse où le contribuable concerné décède en cours de procédure, aucune décision ne peut valablement lui être notifiée. Toutefois, les renseignements à son égard peuvent demeurer pertinents. C’est pourquoi l’article 18a LAAF prévoit précisément que leurs successeurs en droit se voient conférer le statut de partie.
In fine, le Tribunal fédéral retient que l’article 18a LAAF constitue une norme procédurale applicable dès son entrée en vigueur à toutes les procédures pendantes d’assistance administratives en matière fiscale, sans égard à la date à laquelle la demande d’assistance a pu être formulée ou à la date du décès du contribuable concerné. Les juges du Tribunal fédéral concluent ainsi que, dans le cas d’espèce, l’octroi de l’assistance par l’AFC ne viole ni l’article 18a LAAF, ni le principe de l’interdiction de la rétroactivité des lois.
Alain Moreau
Associé, Paris
et
Michel Abt
Associé, Genève