Les nouveautés dans le domaine de la protection des données

BSL The Guide to banking in Switzerland – Novembre 2023
Frédérique Bensahel

Aujourd’hui, la collecte de données constitue un outil de développement de choix pour les entreprises mais fait naître les plus grandes craintes du côté des particuliers. Dans un tel environnement, la question de la protection des données est devenu un enjeu majeur. La loi fédérale sur la protection des données (LPD), entrée en vigueur en 1993, constitue un garde-fou aux abus. Elle a pour but de réglementer le traitement et la divulgation des données, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Elle confère par ailleurs un droit fondamental au particulier, soit le droit d’avoir accès à ses données.

Parallèlement à l’attrait croissant des entreprises pour les données, les législateurs cherchent à protéger les personnes dont les données sont utilisées, le plus souvent à leur insu. La Suisse a lancé le chantier de la révision de la LPD en 2017. Celle-ci a abouti à une réforme dont la date d’entrée en vigueur a été fixée au 1er septembre 2023.

L’objectif de cette réforme est d’assurer la garantie d’une meilleure protection de la sphère privée des personnes concernées par le traitement de leurs données personnelles en améliorant, d’une part, la transparence relative à ce traitement et, d’autre part, le droit d’accès à ces données, mais également de maintenir la compatibilité du droit suisse avec le droit européen et préserver ainsi la libre circulation des données, tout en garantissant la compétitivité de la Suisse.

Principales modifications apportées par la nouvelle teneur de la loi sur la protection des données

La LPD révisée prévoit une application immédiate, soit sans aucune période de transition pour une mise en conformité aux nouvelles obligations. Cela a pour conséquence que les entreprises touchées par les nouvelles dispositions – soit l’essentiel des entreprises suisses pour un certain nombre de dispositions – ont dû procéder à un ajustement aux nouvelles dispositions très rapidement.

Le premier grand changement introduit par cette révision est l’abandon par le législateur des règles sur la protection des données des personnes morales. Cet abandon n’aura toutefois que peu d’impact en pratique, puisque les données des personnes morales sont par ailleurs protégées par les articles 28 ss du Code civil suisse ainsi que par les lois en matière de concurrence déloyale et sur les droits d’auteur.

Un autre changement, portant plus à conséquence, est celui de la définition des données dites « sensibles ». La qualification de données sensibles est fondamentale dans le système de la LPD, ce type de données comportant une protection renforcée au motif que leur révélation peut avoir des conséquences préjudiciables sur la vie privée des personnes concernées. Les données sensibles selon la LPD révisée sont celles portant sur les opinions ou activités religieuses, philosophiques, politiques ou syndicales, celles portant sur la santé, la sphère intime ou l’origine raciale ou ethnique, les données génétiques, les données biométriques lorsqu’elles identifient une personne de manière univoque, les données sur des poursuites ou sanctions pénales ou administratives et, enfin, les données sur des mesures d’aide sociale. Au nombre des objectifs visés par l’élargissement de la définition des données sensibles, on trouve par exemple la volonté d’inclure les empreintes digitales ou vocales, dès lors qu’elles permettent l’identification d’une personne.

Suite aux progrès techniques et à l’apparition de nouvelles méthodes de traitement des données capables notamment d’enregistrer de grandes quantités de données, de les relier entre elles et de les analyser afin d’en tirer des informations sur les personnes à l’aide de procédés mathématiques et statistiques, la révision de la LPD remplace le terme de « profil de la personnalité » par le terme de « profilage ». Cette nouvelle dénomination intègre désormais tout type ou méthode de traitement des données, notamment les évaluations automatisées de certains aspects personnels d’une personne physique ; les « aspects personnels » dont il est question ici concernent notamment « le rendement au travail, la situation économique, la santé, les préférences personnelles, les intérêts, la fiabilité, le comportement, la localisation ou les déplacements » de la personne physique en question. A côté du « profilage », la loi définit également désormais le « profilage à risque élevé », soit tout profilage qui entraîne un risque élevé pour la personnalité ou les droits fondamentaux de la personne concernée en ce qu’un tel profilage permet « d’apprécier les caractéristiques essentielles de la personnalité » d’une personne physique. Grâce à ces nouvelles qualifications, tout profilage par des organes fédéraux requerra une autorisation reposant sur une base légale.

Les principes de protection des données dès la conception (« Privacy by design ») et de protection des données par défaut (« Privacy by Default ») font leur apparition dans la nouvelle loi. Désormais, les entreprises seront tenues de mettre en place, par défaut et dès la conception, des mesures techniques et organisationnelles propres à respecter les prescriptions sur la protection des données.

La transparence dans le traitement des données est améliorée par la consolidation en faveur des personnes touchées du droit à l’accès des données et celle du droit d’être renseigné sur la question de savoir si des données personnelles sont collectées. Les nouvelles dispositions prévoient une obligation d’informer de manière préalable toute personne dont la collecte des données est envisagée. Le responsable du traitement des données est tenu de communiquer à la personne concernée les informations nécessaires à faire valoir ses droits. Le droit de toute personne concernée à recevoir ses données sous format électronique est également garanti. Enfin, chacun pourra également requérir la rectification et la suppression de ses données. Il est donc recommandé aux entreprises de prévoir une marche à suivre afin de pouvoir répondre rapidement à toute demande de renseignement et de suppression des données.

En cas de communication des données vers l’étranger, l’information sur la collecte de données doit mentionner les pays vers lesquels les données sont transférées et le niveau de protection offert ou les garanties qui ont été mises en place pour assurer une protection appropriée. La liste des pays offrant un niveau de protection adéquat figure dorénavant dans l’ordonnance d’application de la loi ; pour les pays qui n’y figurent pas, un transfert des données personnelles vers ceux-ci n’est possible que s’il existe un niveau de protection adéquat dans le pays de destination des données, ce qui peut résulter, en substance, d’un traité international, de clauses contractuelles de protection des données préalablement communiquées au Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT), de garanties spécifiques élaborées par un organe fédéral et communiquées au PFPDT, de clauses type de protection des données préalablement approuvées, établies ou reconnues par le PFPDT, ou encore de règles d’entreprise contraignantes préalablement approuvées ; des dérogations sont possibles dans certains cas particuliers limitativement énumérés. Il s’ensuit que les entreprises devront donc déterminer vers quels pays les données sont transférées (en cas, par exemple, de stockage sur un cloud), déterminer le niveau de protection offert par ce pays, déterminer – pour le cas où le pays en question ne figure pas sur la liste du Conseil fédéral – si d’autres garanties sont en place, ou déterminer si une exception est justifiée au regard du catalogue limitatif prévu par la loi.

On relèvera encore, à l’heure des robot advisors, l’obligation nouvelle d’informer les personnes concernées de toute décision prise exclusivement sur la base d’un traitement de données personnelles entièrement automatisé. En d’autres termes, la LPD révisée impose une obligation d’information lorsqu’une décision est prise exclusivement par un logiciel.

Enfin, les entreprises devront établir et tenir un registre des activités de traitement des données, lequel devra être régulièrement mis à jour. Les entreprises de moins de 250 collaborateurs, dont le traitement des données présente un faible risque d’atteinte à la personnalité, sont toutefois exemptée de cette mesure. Cette exemption n’est possible que si le traitement des données effectué par l’entreprise ne porte pas sur des données sensibles à grande échelle ni constitue un profilage à risque élevé. Pour les entreprises exemptées, l’opportunité de tenir un registre des activités de traitement des données doit toutefois être analysée en vue de déterminer l’utilité d’un tel registre – même en l’absence d’une obligation légale – ainsi que les conditions d’exemption.

La révision encourage la responsabilisation des personnes en charge du traitement des données en prévoyant notamment la possibilité pour les associations professionnelles et les associations économiques de rédiger leur propre code de conduite et de le soumettre au PFPDT. L’aval de ce dernier établira la présomption légale que le comportement défini dans le code respecte la protection des données.

La révision instaure une véritable obligation de procéder à des analyses d’impact, à l’instar de celles déjà prévues pour les organes fédéraux. Ces analyses ne sont obligatoires qu’en cas de traitement de données susceptible d’entraîner un risque élevé pour les droits de la personnalité ou les droits fondamentaux des personnes concernées.
Il est toutefois possible de renoncer à de telles analyses d’impact en cas de certification, par un organisme de certification agréé ou indépendant, du système, produit ou service utilisé, ou en cas de respect du code de conduite agréé. Lorsqu’elle doit être effectuée, l’analyse d’impact comportera une description du traitement envisagé, une évaluation des risques pour la personnalité ou les droits fondamentaux de la personne concernée, ainsi que les mesures prévues pour protéger sa personnalité et ses droits fondamentaux. Aucune méthodologie particulière n’étant prévue dans la loi, il est donc conseillé de suivre les recommandations des autorités de contrôle européennes.

Enfin, la révision instaure une obligation générale d’informer le PFPDT et la personne concernée, dans les meilleurs délais, de toute violation de la sécurité entraînant de manière vraisemblable un risque élevé pour la personnalité ou les droits fondamentaux des personnes concernées.
Jusqu’à présent, ce devoir d’annonce n’existait que pour les établissements soumis à la surveillance de la FINMA.

Conclusion

La nouvelle teneur de la LPD a pour objectif de renforcer la confiance des consommateurs dans le traitement de leurs données personnelles. Ce renforcement a cependant un coût pour les responsables de traitement des données, soit généralement les entreprises. Toutefois, les entreprises suisses qui offrent des services dans les Etats membres de l’Union européenne soumis au règlement (UE) 2016/679 ont déjà fait le plus gros de l’effort dans la mesure où l’implémentation de ce règlement implique déjà pour l’essentiel une mise en conformité avec les nouvelles dispositions de la LPD.

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