Les rétrocessions, en particulier leur conservation par le mandataire, constituent une préoccupation majeure pour les banques et autres prestataires de services financiers depuis l’arrêt de principe du Tribunal fédéral de 2006. Dans cette décision, suivie par un arrêt de 2011, le Tribunal fédéral a jugé que les rétrocessions doivent par principe être restituées au client; celui-ci peut y renoncer de manière anticipée s’il est informé (i) des valeurs de référence des accords de rétrocession (paramètres de calcul) et (ii) de l’ordre de grandeur des rétrocessions attendues (fourchette exprimée en pourcentage de la fortune gérée).
Ces principes, développés dans le cadre de la gestion de fortune puis intégrés dans la réglementation financière, ont toujours suscité des difficultés lorsqu’ils sont appliqués à d’autres types de relations, soit le mandat de conseil ou la relation execution only.
Dans un arrêt du 24 mai 2024 (4A_574/2023), le Tribunal fédéral a examiné l’étendue de l’information requise pour que la renonciation soit considérée comme valable dans le cadre d’une relation execution only. Dans cette affaire, l’instance inférieure zurichoise avait admis la validité d’une clause de renonciation aux rétrocessions figurant dans les conditions générales d’une banque alors qu’elle ne mentionnait que les paramètres de calcul des rétrocessions par classe de produits sous la forme de fourchettes (entre 0% et 0,75% des montants investis par exemple). Le tribunal zurichois considérait que ces indications permettaient au client de calculer l’ordre de grandeur des rétrocessions de manière suffisamment précise dans une relation execution only.
Se fondant sur la jurisprudence existante, le client a recouru devant le Tribunal fédéral en soutenant qu’une renonciation aux rétrocessions n’est valable que lorsque le client est informé cumulativement (i) des paramètres de calcul et (ii) de l’ordre de grandeur des rétrocessions attendues – lequel faisait défaut en l’espèce. Le Tribunal fédéral répond clairement que «contrairement à ce qui vaut pour la gestion de fortune, il n’existe pas, dans le cadre du conseil en placement ou de la relation execution only, de patrimoine géré qui pourrait être utilisé comme valeur de base» (traduction libre). Le Tribunal fédéral ajoute que, «puisque le client prend lui-même les décisions dans les relations de conseil et execution only, les principes posés pour la gestion de fortune ne peuvent pas être transposés sans examen» (idem).
Sur la base de cet arrêt et d’un arrêt précédent (du 27 février 2024, 4A_496/2023), il paraît acquis que dans une relation execution only, une clause de renonciation aux rétrocessions produit ses effets alors même qu’elle n’indique pas d’ordre de grandeur des rétrocessions attendues.
En matière de conseil en placement, les défis liés au calcul des rétrocessions varient selon qu’il s’agit de conseil en placement dit global ou de conseil transactionnel/ponctuel. Dans les deux cas, le client prend la décision d’investissement, ce qui complique le calcul par le mandataire de l’ordre de grandeur des rétrocessions par rapport à la valeur du portefeuille. Le mandataire ne maîtrise pas toute l’information nécessaire à ce calcul puisqu’il ne sait pas quels investissements seront effectués par le client, même si en pratique, il arrive souvent que les clients sous mandat de conseil global suivent la plupart des recommandations du prestataire de services. Si le Tribunal fédéral ne s’est pas prononcé explicitement sur la validité de la renonciation dans le cadre du mandat de conseil, il paraît probable qu’il n’exigera pas d’ordre de grandeur pour le conseil ponctuel, à l’instar de ce qu’il a décidé pour les relations execution only.
Dans son projet de circulaire sur les règles de comportement selon la Loi sur les services financiers (LSFin), dont l’entrée en vigueur est attendue en 2025, la Finma prévoit que le prestataire communique à son client «(i) une fourchette concernant les rémunérations compte tenu des différentes catégories de produits; (ii) des informations additionnelles sur la fourchette de la rémunération en fonction de la valeur du portefeuille et de la stratégie de placement convenue. Ce qui précède s’applique à la gestion de fortune et au conseil en placement pour le portefeuille».
Ainsi, dans les relations de conseil en placement portant sur l’ensemble du portefeuille (par opposition au conseil ponctuel), la Finma attend la communication d’un ordre de grandeur des rétrocessions dont on sait la difficulté de l’estimer.
En conclusion, sur la base de l’arrêt du Tribunal fédéral susmentionné, il paraît acquis qu’un client execution only peut valablement renoncer aux rétrocessions lorsqu’il n’est informé que des paramètres de calcul des rétrocessions (fourchettes par type de produits). En matière de conseil en placement, la situation est plus complexe : le Tribunal fédéral semble appliquer le même régime que pour l’execution only mais la Finma entend imposer la communication d’un ordre de grandeur pour le mandat de conseil global. En définitive et pour autant que le projet de circulaire de la Finma soit adopté dans son état actuel, la prudence commande que le prestataire de conseils en placement portant sur le portefeuille communique à son client un ordre de grandeur calculé en fonction de la valeur du portefeuille, en faisant l’hypothèse que le client suivra les conseils prodigués dans le cadre de la stratégie convenue.