L’usage maîtrisé du démembrement de propriété permet de répondre au double objectif d’une transmission plus libre et moins coûteuse du patrimoine. En donnant de son vivant la nue-propriété d’un bien, le donateur assure à son bénéficiaire-donataire de devenir plein propriétaire. Lors de l’extinction de l’usufruit réservé, sera transmise hors masse successorale l’entière plus-value éventuellement dégagée par la pleine propriété du bien, en totale franchise de droits de mutation, alors même que le donataire ne détenait qu’une partie de la propriété, à savoir la nue-propriété ayant fait l’objet de la donation.
Cette transmission optimale de la plus-value peut être renforcée par les opportunités offertes par les dispositions de l’article 599 du Code civil qui permettent, à l’extinction de l’usufruit, la transmission gratuite au nu-propriétaire des constructions édifiées et financées par l’usufruitier.
Il est assez fréquent en effet qu’un terrain à bâtir soit détenu en démembrement de propriété à l’issue d’une succession ou au terme d’une donation-partage dans le cadre d’une anticipation successorale. Dans le cadre d’une optique de transmission de patrimoine, la tentation peut être grande pour l’usufruitier parent de prendre en charge financièrement la construction envisagée afin d’en faire bénéficier gratuitement sa descendance au jour de son décès.
Rappelons que pendant toute la durée du démembrement, l’usufruitier est tenu d’assumer les dépenses d’entretien qu’exigent les biens immobiliers dont il a l’usufruit dans le souci d’assurer leur conservation, de telle sorte que le nu-propriétaire puisse lors de son entrée en jouissance disposer d’un actif en bon état de conservation. Si le Code civil est plutôt prolixe en ce qui concerne les obligations mises à la charge de l’usufruitier, la loi est quelque peu silencieuse sur le droit de construire de l’usufruitier et le sort des constructions que ce dernier aurait réalisées sur le terrain démembré.
En se prononçant sur la propriété des constructions par une décision rendue le 19 septembre 2012, la Cour de cassation a consacré le droit de construire pour l’usufruitier. La Cour a par ailleurs souligné que l’usufruitier restait propriétaire des constructions édifiées sur le terrain démembré jusqu’à l’extinction de l’usufruit, consacrant ainsi la thèse de l’accession différée de la propriété au profit de l’usufruitier. La Cour de cassation a en effet affirmé qu’«il n’existait aucun enrichissement pour la nue-propriété qui n’entrera en possession des constructions qu’à l’extinction de l’usufruit».
De son côté, le législateur a prévu qu’à l’extinction de l’usufruit, l’usufruitier ou ses héritiers ne pourront obtenir aucune indemnisation du nu-propriétaire, même si les travaux engagés par l’usufruitier ont provoqué de réelles plus-values qui profiteront exclusivement au nu-propriétaire lors de son accession à la pleine propriété sur le fondement de l’article 551 du Code civil: «Tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose appartient au propriétaire». Et l’article 599 dans son deuxième alinéa prévoit que «(…) l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée».
En d’autres termes, après avoir consenti la nue-propriété d’un terrain, des parents usufruitiers pourront notamment:
- financer et faire édifier une maison, engager toutes les dépenses de modernisation et de rénovation, agrandir, surélever par exemple le bien afin d’adapter ce dernier à leurs propres besoins;
- transmettre ce même bien immobilier, rénové modernisé ou agrandi à leurs propres enfants nus-propriétaires sans que ces derniers ne soient contraints au versement d’un quelconque impôt ni d’une quelconque indemnité.
Ce transfert indirect des dépenses engagées par l’usufruitier pourrait profiter de la même manière à des nus propriétaires n’ayant pas la qualité d’héritiers présomptifs. Au décès de l’usufruitier, les héritiers réservataires seraient dépourvus de tout argument, le bien immobilier ne faisant pas parti de la succession de l’usufruitier (sous réserve de faire échec à la présomption de fictivité de l’article 751 du Code général des impôts) et aucune indemnité ne pourrait être mis à la charge des nus-propriétaires par application des dispositions de l’article 599 du Code civil.
L’administration fiscale française, contrariée par l’absence de recette fiscale perçue à l’extinction du droit d’usufruit, a souhaité à plusieurs reprises compenser cette perte fiscale en tentant de requalifier le transfert des constructions au profit des nus-propriétaires en donation indirecte consentie par l’usufruitier. Dans le cas examiné par la Cour dans l’arrêt précité du 19 septembre 2012, l’administration, ayant analysé l’opération en une donation indirecte des constructions, avait soumis ainsi la valeur des travaux aux droits d’enregistrement.
L’administration a été déboutée de ses prétentions. Les juges ont rappelé que la qualification de donation indirecte requiert, comme toute donation, un appauvrissement du donateur, matérialisé par un dessaisissement actuel et irrévocable. Or, la Cour a souligné qu’au vu de son espérance de vie au jour de l’édification des constructions, l’usufruitier a pu tirer un vrai profit personnel des travaux engagés. La valorisation de son droit de jouissance, dans le cas de l’édification du bâtiment, par la perception des loyers, a été réelle et pertinente. Le montant des loyers encaissés par l’usufruitier excédait le prix de revient des constructions édifiées. Selon l’analyse de la Cour de cassation, il n’existait aucun enrichissement immédiat du nu-propriétaire, ni d’appauvrissement de l’usufruitier, de sorte que l’intention libérale n’était pas démontrée.
L’utilité de la stratégie pour l’usufruitier qui finance les travaux de rénovation ou de construction doit être réelle et certaine si l’on souhaite sécuriser la transmission de patrimoine au profit des nus-propriétaires.
Il est révolu le temps où le démembrement de propriété ne créait qu’impatience chez les nus-propriétaires. Cette stratégie de transmission simple mais délicate permet aujourd’hui de véhiculer de fortes plus-values immobilières en franchise de droits, faisant le bonheur des propriétaires en germe !