Impact de la conclusion d’un bail sur le gage immobilier

Allnews – Janvier 2025
Serge Fasel

Lorsque les banques accordent des crédits, ces dernières cherchent à réduire les risques et à s’assurer du remboursement de la somme prêtée. Parmi les garanties couramment utilisées figure le gage immobilier, qui permet au propriétaire d’un immeuble de garantir une dette en mettant son bien en sûreté. En contrepartie, le créancier peut, si le débiteur ne rembourse pas, demander la vente forcée de l’immeuble pour récupérer son dû.

Le droit de gage immobilier, régi par le titre vingt-deuxième du Code civil (793ss CC), protège le créancier en lui réservant une partie ou la totalité de la valeur de l’immeuble. Cela inclut le droit de contester toute action du propriétaire susceptible de diminuer cette valeur.

Qu’en est-il du contrat de bail ? Quel est son impact sur la valeur du gage ?

Un contrat de bail ne constitue ni une servitude, ni une charge foncière, ni un droit réel au sens du Code civil. Cependant, un bail signé après la mise en gage d’un immeuble peut affecter la valeur de cette garantie. En effet, selon le principe « la vente ne rompt pas le bail » (art. 261, al. 1 CO), l’acquéreur d’un immeuble vendu aux enchères publiques hérite des baux en cours. Cette contrainte peut limiter l’usage du bien et réduire son attractivité, affectant ainsi sa valeur d’adjudication.

Une autre question se pose alors : la procédure de double mise à prix peut-elle s’appliquer aux baux ?

Avant d’y répondre, rappelons brièvement ce qu’implique la double mise à prix. Cette procédure intervient lorsque, conformément à l’article 142 LP, un immeuble est grevé d’une servitude, d’une charge foncière ou d’un droit personnel annoté sans l’accord d’un créancier gagiste de rang prioritaire. Ce créancier, bénéficiant d’un droit préférentiel inscrit dans l’état des charges, dispose d’un délai de dix jours suivant la notification pour exiger que l’immeuble soit mis aux enchères, avec ou sans la charge.

Ce mécanisme est particulièrement pertinent dans les conflits entre gages et usufruits lors de la réalisation forcée d’un bien (P. Piotet, 1978, p. 12-13 ; Steinauer, Il, N 2154a, p. 284 ; erroné, Gilliéron, Commentaire Il, art. 126 N 53).

Cette clarification faite, revenons à notre question. Le Tribunal fédéral s’est prononcé à ce sujet il y a plus de vingt ans. Dans deux décisions de principe, il a jugé que la double mise à prix est applicable aux baux de longue durée, qu’ils soient annotés ou non au registre foncier (ATF 124 Ill 37 et ATF 125 Ill 123). Cela signifie que ces baux peuvent être pris en compte dans la procédure de double mise à prix, permettant ainsi au créancier gagiste de réduire leur impact sur la valeur de l’immeuble.

Concrètement, tout bail ayant une durée résiduelle supérieure au délai légal de congé (trois mois pour les habitations et six mois pour les locaux commerciaux) peut justifier une double mise à prix. Le Tribunal fédéral a soutenu cette position pour trois raisons principales :

  1. L’intention initiale du législateur lors de l’introduction de l’art. 261 CO était de protéger les locataires, mais cette protection n’a pas été évaluée dans le contexte des exécutions forcées.
  2. Le lien réel entre le locataire et le bien est limité par rapport à des droits réels comme l’usufruit ou la servitude, qui méritent une protection prioritaire.
  3. L’omission du législateur sur cette problématique est considérée comme une lacune juridique, justifiant une solution basée sur l’analogie avec l’art. 812 CC.

Lorsque l’immeuble est adjugé sans le bail, celui-ci est transféré au nouvel acquéreur conformément à l’art. 261, al. 1 CO. Toutefois, ce dernier peut résilier le bail pour le prochain terme légal, même sans besoin urgent.

Si cette solution du Tribunal fédéral semble équilibrée, elle reste perfectible :

  1. La possibilité de double mise à prix ne concerne que les baux de longue durée, excluant ceux de courte durée qui pourraient également déprécier la valeur du bien.
  2. Le critère de la durée résiduelle du bail n’est pas explicitement prévu par les normes, mais il influence la décision du créancier de demander une double mise à prix.
  3. Le Tribunal fédéral estime que les baux de courte durée n’ont pas d’impact significatif sur la valeur du gage, ce qui semble contestable. Un acquéreur souhaitant habiter le bien peut voir la présence d’un locataire comme un inconvénient, quelle que soit la durée du bail.

À notre sens, le législateur devrait songer à légiférer en la matière. En effet, tout bail, indépendamment de sa durée, devrait être considéré comme susceptible de réduire la valeur d’un bien grevé. De plus, le législateur pourrait introduire un alinéa supplémentaire à l’art. 261 CO afin de mieux protéger les locataires. Par exemple, si un bail est résilié à la suite d’une double mise à prix, le précédent bailleur devrait être tenu responsable des dommages subis par le locataire.

Une telle modification garantirait une protection équitable des locataires tout en respectant les droits des créanciers gagistes.

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