Entre absence de majorité à l’Assemblée Nationale, déficit budgétaire et dette abyssale, les discussions budgétaires en France s’avèrent particulièrement périlleuses. À plus long terme, c’est la stabilité budgétaire du pays qui se pose, exigeant d’anticiper dès à présent de possibles hausses d’impôts, en particulier pour les ménages.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le nom du futur premier ministre vient d’être annoncé. Il s’agit de Michel Barnier, homme politique expérimenté issu du rang de la droite modérée. En l’absence de majorité claire à l’Assemblée Nationale, le futur gouvernement Barnier ne sera pas en mesure d’imposer sa politique fiscale et devra faire des concessions à ses alliés, voire se verra imposer des hausses d’impôts par les partis d’opposition. Dans ce contexte, et compte tenu des délais très courts, le nouveau gouvernement, devrait très probablement reprendre à son compte le projet de budget préparé par l’équipe sortante et laisser aux parlementaires le soin de le modifier par voie d’amendements lors du débat législatif.
Les prochaines semaines, voire les prochains mois, devraient donc permettre d’y voir un peu plus clair, même si la bataille, voire la « guerre législative », qui s’annonce à l’Assemblée Nationale, réservera, à n’en pas douter, son lot de (mauvaises) surprises pour les contribuables français.
En matière de recettes fiscales, de nombreuses « pistes » ont été évoquées lors des dernières élections, notamment du côté des partis de gauche (Nouveau Front populaire). Citons, sans que cette liste ne prétende être exhaustive : restauration d’un impôt sur la fortune financière, abrogation de la « flat tax » de 30 % sur les revenus financiers, augmentation du barème de l’impôt sur les revenus, augmentation du taux des prélèvements sociaux, taxe sur les superprofits des entreprises, durcissement des conditions de l’« exit tax », ou encore augmentation des taux des droits de donation et de succession sur les gros patrimoines.
Nous ne nous attarderons pas sur la question des droits de donation ou de succession dès lors qu’en dépit des débats récurrents autour de leur allègement ou de leur alourdissement, il est aujourd’hui beaucoup trop aléatoire d’anticiper quoi que ce soit sur le sujet, ce d’autant que ce type d’imposition ne permet pas à un gouvernement d’accélérer rapidement l’entrée des recettes fiscales, en tout cas en matière de droits de succession.
Il pourrait en être autrement en matière de droits de donation en prévoyant une « fenêtre » de quelques mois à quelques années de réductions drastiques des modalités d’imposition (assiette ou taux). Une telle mesure d’anticipation des transmissions permettrait assurément d’accélérer les rentrées fiscales tout en injectant des capitaux vers les jeunes générations, plus propices à consommer. Une telle mesure pourrait de surcroît relancer un marché immobilier aujourd’hui partiellement à l’arrêt.
Il s’agirait toutefois d’une décision éminemment politique, difficile à articuler dans un contexte parlementaire où le gouvernement ne dispose pas d’une majorité à l’Assemblée Nationale. En matière de décision éminemment politique, la possibilité d’une restauration de l’impôt sur la fortune financière doit également être abordée, pour la gérer au mieux, le moment venu.
Dans cette optique, il convient d’anticiper dès à présent, dans les schémas d’organisation patrimoniale, un possible retour de l’ISF en réactualisant les notions de « biens professionnels », « plafonnement des revenus », « interposition de sociétés holding », etc. Une telle anticipation doit ainsi permettre de mettre en place des schémas pérennes et sécurisés et, surtout, de ne pas avoir à déconstruire, avec les coûts induits, des structurations planifiées par essence pour le long terme.
La taxation forfaitaire au taux de 30 % (prélèvements sociaux de 17,2 % inclus) sur les produits financiers (dividendes et intérêts) ainsi que sur les gains de cession de valeurs mobilières est, depuis 2018, un véritable avantage pour les investisseurs privés. N’oublions pas qu’antérieurement, ces revenus financiers étaient taxés au même taux que n’importe quel autre revenu, à un taux marginal de 45 %, hors prélèvements sociaux (soit 62,2 % au total).
Afin d’anticiper toute modification sur la fiscalité de l’épargne, il peut être conseillé, lorsque cela est possible – notamment au sein des sociétés familiales – de procéder à des distributions de réserves aux actionnaires, à charge pour eux, le cas échéant, de laisser l’argent dans l’entreprise (compte courant d’associés) afin de ne pas obérer la trésorerie. Des opérations sur le capital peuvent, dans le même sens, permettre d’externaliser des plus-values.
Il convient cependant de garder à l’esprit que des opérations réalisées dans le courant de l’année 2024 pourraient néanmoins être impactées par une réforme fiscale votée fin 2024. C’est ce que l’on appelle la « petite rétroactivité », très injuste mais considérée comme légale par les juridictions françaises.
Par exemple, si une distribution de dividendes intervient en octobre 2024, sous l’empire de la taxation forfaitaire de 30 %, mais qu’une augmentation des contributions sociales est votée en novembre 2024 pour les porter de 17,2% à 20 %, le taux d’imposition sera augmenté rétroactivement de 2,8 % sur toute l’année 2024, pour atteindre 32,8 % au final. Il est donc conseillé d’attendre la fin de l’année 2024, lorsque la situation législative sera définitivement actée, fin novembre/début décembre, pour réaliser ces opérations de manière totalement sécurisée.
Enfin, en cas de projet de transfert de domicile à l’étranger, il peut faire sens de faire intervenir la délocalisation plutôt avant le 31 décembre 2024 que dans le courant de l’année 2025. En effet, depuis les assouplissements intervenus début 2019, l’« exit tax » sur la fortune mobilière a été réduite de 15 ans à 5 ans (voire 2 ans). Il n’est pas certain qu’un tel assouplissement perdure, comme il n’est pas certain non plus que d’autres mesures plus restrictives aux transferts de résidence ne soient instaurées, notamment comme corolaire à de fortes augmentations d’impôts.
En revanche, nous excluons qu’il puisse être instauré une taxation sur la base de la nationalité comme cela a été entendu récemment. En effet, une telle mesure serait particulière complexe et longue à mettre en œuvre, nécessitant notamment la révision de toutes les conventions fiscales conclues par la France. Par contre, l’instauration « d’un droit de suite » en cas de transfert de domicile vers un pays à fiscalité attractive – comme cela existe d’ailleurs dans plusieurs pays européens – ne peut pas être exclue. Ce droit de suite consiste à maintenir la taxation d’un contribuable dans son pays de départ, comme s’il était demeuré résident, pendant une durée variable (3, 5, 8 ans par exemple), si le pays de destination est qualifié de pays à fiscalité privilégiée, c’est-à-dire s’il offre des conditions d’imposition très favorables en comparaison de celles du pays de départ (en matière d’assiette ou de taux, voire de non-imposition sur la fortune par exemple).
En conclusion, devant les risques et les incertitudes actuelles et futures, s’il peut être tentant de penser à une délocalisation, il conviendra alors aux candidats au départ de garder en tête les problématiques d’« exit tax », de l’instauration d’un possible droit de suite ainsi que, bien entendu, des risques pénaux en cas de délocalisation fictive ou abusive.